Daniel Guichard, la tendresse
(ça se voit tout de suite dans son regard)
Mes parents sont mariés depuis quarante-cinq ans. Ca nous rajeunit pas. Mais c’est rassurant. Quelque part dans ce monde, y a des gens qui ont décidé de s’unir du vit à la morgue et qui s’y tiennent.
Je ne suis pas romantique ; j’aime simplement cette idée de passer sa vie avec quelqu’un, de l’aimer, le haïr, l’accepter tel qu’il est, vouloir l’emplâtrer, résister à l’emplâtrer, le regarder vieillir, le voir emprunter des chemins, essayer de le rencontrer à nouveau à la croisée d’un de ces chemins, le respecter, lui en vouloir, lui pardonner, être auprès de lui dans un silence serein, se chamailler avec lui, construire, déconstruire, reconstruire avec lui, le maudire en l’embrassant, l’embrasser soudain fougueusement, veiller sur lui, le soutenir, le laisser s’éloigner, le laisser mourir.
Désormais quand ma mère me parle de mon père, elle le fait avec bienveillance, elle s’inquiète pour lui, le protège, prend soin de lui. Je ne sais pas si elle a été un jour amoureuse de mon père, en tout cas aujourd’hui elle l’aime. Cela me touche intensément et je les admire, d’autant que comme peut-être pour tout couple, il n’a pas s’agit d’attendre que les années fassent leur oeuvre tranquillement, sans heurt et sans chaos. Cette longévité s’est bâtie, parfois dans les larmes, parfois dans les petits bonheurs du quotidien, parfois dans les grandes joies. Ils ont aussi mis des masques ou des oeillères, ils se sont mordu la langue, ils ont mangé leur poing, ils se sont enfoncé des couteaux dans le dos, ils se sont même une fois donné des coups de pieds pour y parvenir.
Ils ont et avaient sans doute, tous les deux, vraiment envie de se contempler l’un l’autre leurs rides…
Je souhaiterais qu’il en soit ainsi pour mon Légionnaire et moi. Je ne rêve pas à la passion. Je ne rêve pas au coeur qui bat, au corps qui transporte. Je ne rêve pas à un parcours idéal. Je rêve que lui et moi, dans vingt ans, ne soyons pas séparés par la mort ou par la vie. Vivre ensemble dans la tendresse. Et avec classe.
« Chéri, je peux venir dans tes bras ?
– Et moi, je peux venir dans ton cul ??? »
Voyez, dans la tendresse. Et avec classe.