Chez Rudi et Paula

On est arrivés en retard chez Rudi et Paula ; la carte départementale n’indiquait pas le chemin jusqu’à chez eux, même Google Maps semblait les avoir ignorés, juste retour des choses. Il faisait beau mais le vent était frais. La terre avait eu le temps d’absorber la pluie durant la nuit et le sol était sec. Rudi devait ramasser manuellement le thym qui n’avait pu être cueilli la veille. C’est Paula qui nous a fait visiter. Avec ses enfants.

J’avais goûté une délicieuse tisane au nom enchanteur quelques semaines auparavant. Ma curiosité m’avait poussée à faire des recherches sur ses producteurs. Rudi et Paula.
Rudi et Paula avaient fait le choix, il y a vingt ans de quitter leur pays et de s’installer ici pour y vivre en harmonie avec la nature, le cycle des saisons, de façon indépendante.
Comme les gens qui travaillent la terre, me direz-vous.
Mais les paysans, les agriculteurs, les soumis aux caprices de la météo ne font pas le choix radical de ne pas avoir de voiture, d’électricité, de téléphone, d’eau courante. Quand certains cherchent les subventions, Rudi et Paula ont trouvé l’autonomie, complète, et la simplicité.
On peut s’imaginer des allumés, des intégristes, des marginaux ! Or, Rudi, Paula et leurs enfants ont une vie sociale très remplie, une démarche réfléchie, extrême certes, un discours cohérent sans aucun prosélytisme. Ils n’ont pas un système de valeurs fondé sur l’argent, la réussite, les apparences. Ils sont pauvres car il possèdent peu, se contentent de peu ; ils ne sont pas miséreux.
Ils sont heureux ainsi.
Rudi et Paula vivent de la vente de leurs herbes aromatiques, auprès de trois/quatre magasins bio ; c’est un produit léger à transporter.
Ils ont eu récemment ce que nous appellerions « une belle opportunité » avec une nouvelle enseigne mais ils ont de suite décliné la proposition, ils arrivent à liquider tout leur stock et ne trouvent aucun intérêt à un développement.

Paula et Rudi ont encore quelques chèvres, qui ne servent plus qu’à tondre leurs prairies. Paula nous explique qu’avant elle filait la laine, la teignait avec des matières végétales, la tricotait. Elle a arrêté, l’investissement en temps était vraiment trop important par rapport au prix qu’elle pouvait raisonnablement en demander. Elle nous montre comment elle faisait et, impressionnés par l’ampleur de la tâche, nous essayons à tour de rôle de filer (ou essayons de le faire, genre moi). A coté de l’outil ancestral repose un panier dans lequel trônent quelques bonnets-vestiges, tricotés par les mains de Paula. Je reconnais immédiatement ce type de coloris, cette forme, ces points, ces mailles.

Paula, ces bonnets, ils n’étaient pas vendus chez Bioterre par hasard ?

Si, si. Tu les connais ???

Je fus émue, presque fière aussi.

Le soir, j’ai ressorti mon vieux bonnet, que je m’étais choisi pour Noël huit ans auparavant, le Grognard venait de naître. Il était beige, vert, gris clair et corail. Il était « fait main », indiquait l’étiquette, avec au-dessous, dix-neuf euros. Mais celle-ci ne précisait pas les multiples gestes effectués lentement, dans un silence religieux, de la teinte au tricot pour que mon crâne soit préservé de la neige cette année-là et les suivantes. J’ai ressorti le bonnet de Paula.  Le bonnet de Paula. Le beau bonnet de Paula. Et, dans l’appartement citadin, mon couvre-chef sur la tête, j’ai laissé filer mes pensées, à défaut de la laine, sur le sens de ma vie et ma joie liée à cette rencontre d’exception, partagée avec ma famille au complet et quelques amis.

6 commentaires sur « Chez Rudi et Paula »

  1. Je pense savoir de qui il s’agit. Une copine m’avait permis de prendre part à une commande groupée. J’ai bu leurs tisanes poétiques pendant plusieurs années jusqu’à épuisement de mon stock. Je n’en ai plus à mon grand regret.

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