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Grand frère malade

munch_TheScream

Tu sais Nico, maman m’a dit. J’ai encore pensé à toi hier soir, avant de m’endormir. A ta vie, à tes rêves, si tu en as encore. Maman m’a dit mais je le savais depuis toute petite. Maman l’a dit enfin, le nom de ta maladie. Moi je savais, moi je savais. J’étais la seule à la voir.

Tu sais Nico, tu m’as fait souffrir. J’ai cru que c’était moi qui étais folle. Que c’était moi parce que j’étais le témoin muselé de ta cruauté : quand tu arrachais leurs pattes aux araignées, quand tu balançais des grenouilles du balcon de ta chambre au deuxième étage pour les admirer s’écraser violemment, quand tu te réjouissais d’un air sadique de me terroriser avec une poêle brûlante…
Tu étais agressif, bourré d’orgueil, tu te sentais supérieur à tous.

J’ai eu peur pour toi, Nico. Je t’ai vu tomber dans les paradis artificiels. Tu voulais m’y emmener avec toi ; tu m’as fait fumer mon premier joint. A l’adolescence on a connu quelques moments de répit, de confidences dans ton antre toujours close sur toi, où la musique était si forte qu’elle couvrait la pudeur de nos mots.

Je sais Nico, tu as définitivement sombré dans la maladie. A l’heure où on construit, une maison, une famille ; tout s’est détruit dans ta tête. J’imagine que tu n’as plus eu le choix, que ces voix et ces visions étaient devenues insupportables, qu’il a dû être atroce de croire que ceux qui t’aiment s’étaient retournés contre toi.
Tu vis sous camisole chimique, ça te permet d’avoir un travail à responsabilités. J’imagine que ce n’est pas tous les jours facile, les effets secondaires et les délires qui ne partent pas tout à fait. J’imagine que cacher une partie de soi est douloureux et d’autant plus déstructurant. On ne raconte pas ses monstres nocturnes comme on raconte ses symptômes grippaux…

On ne s’est pas vus depuis plus de dix ans, Nico et je ne peux pas t’aider. Je te fais vivre en cet instant car tu me manques, j’ai mal à toi, je veux parler de toi tel que tu es quelque part, que tu existes. Et puis je voulais, te dire Nico, je suis fière de toi. Tu es courageux, d’une volonté exemplaire. Malgré la maladie la plus handicapante et la plus taboue qui soit, la maladie mentale, la psychose, dans la solitude tu es parvenu à combattre bien des démons, à devenir un homme. Et moi, à devenir ta soeur.