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Et si on s’était rencontré dans la vraie vie ?

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On se serait sans doute connu dans le cadre du travail. Avant même de voir la couleur de tes yeux, j’aurais senti ton parfum. Tu aurais peut-être remarqué avant tout ma douceur. Tu m’aurais peut-être trouvée d’emblée sympathique ou légèrement hautaine selon mon humeur, selon ton humeur. Je t’aurais vouvoyé spontanément, je n’aime pas les familiarités.

Tu ne connaitrais pas le trio « Putain, merde, fais chier » que je réserve à la conduite en voiture et à mon chez moi malgré les réprimandes des enfants. Mon langage serait plutôt châtié, mes mots pesés, ma voix assurée ; le ton ne monterait pas. Je dirais ce que je pense mais pas tout ce que je pense ; je vérifierais d’abord, pour ne pas te blesser, ce que tes oreilles peuvent entendre. De toutes les façons, je préfère écouter. Je ne te poserais pas de questions, non par désintérêt, loin de là, mais par crainte d’être indiscrète et puis je me contenterais de ce que tu as à me livrer. Si je t’interrogeais, c’est que tu aurais su gagner mon entière confiance.

Tu me verrais un jour pleurer ; les autres jours tu me verrais rire. Constamment. Je ris quand je suis intimidée, je ris quand je suis gênée, je ris quand je suis amusée d’un rien, je ris quand j’ai peur, je ris quand je m’ennuie, je ris quand je suis contente, je ris quand je prépare une gentille blague, je ris quand je taquine (souvent)… Et quand je ne ris pas, je souris.

J’évoquerais peu mes enfants, tu ne saurais pas que j’écris, je préfèrerais te faire découvrir ce vin rond et cette musique exotique que j’ai choisis avec soin pour toi, partager mes bonnes adresses pour se sustenter, mes dernières lectures et mes sorties culture ou nature locales. Tu saurais que j’ai une certaine passion pour la gastronomie sans cuisiner pour autant, pour les romans graphiques et ma région. Sans doute ne connaitrais-tu pas ma religion, ma vieille dépression, où j’ai passé mon enfance. J’ai la phobie des étiquettes.

Tu me croiserais facilement à la médiathèque ou à la librairie, tu me croiserais avec mon Légionnaire dont je suis inséparable. Tu verrais qu’on se tient encore par la main dans la rue et qu’à fréquence régulière je lui saute au cou pour l’embrasser. Il aurait été éventuellement désagréable avec toi lors des présentations car il faudrait que l’on se serre pour te faire une place. Tu l’aurais peut-être trouvé d’emblée sympathique ou légèrement hautain selon son humeur, selon ton humeur. Il ne t’aurait pas embrassé spontanément, il n’aime pas les familiarités non plus.

Je serais une piètre copine, une plus piètre amie encore. Je ne téléphone jamais. Je suis rarement disponible pour un café. Je ne me déplace pas. Je ne fais pas d’efforts pour entretenir les relations. Je n’ai souvent rien de plus à donner que ma sauvagerie et mes prières, que l’écho de mon rire et ma main de fer dans un gant de velours. Et pourtant, si je t’avais rencontré dans la vraie vie,  je ne serais pas indifférente, tes peines seraient les miennes le soir tombé, ton bonheur illuminerait mes journées, même sans te voir durant vingt ans.